L'encéphalomyélite myalgique (EM/SFC) : bien plus qu'une "fatigue chronique"
- Dr Nicolas Dedieu

- 1 nov.
- 9 min de lecture
Pour des millions de personnes à travers le monde, la vie est dictée par un épuisement écrasant qu'aucun sommeil ne peut réparer. On leur dit souvent que "c'est dans leur tête", qu'elles sont "juste fatiguées" ou qu'elles souffrent de dépression. Pourtant, l'encéphalomyélite myalgique / syndrome de fatigue chronique (EM/SFC) est une maladie biologique dévastatrice, complexe et multisystémique.
Historiquement stigmatisée et sous-financée, l'EM/SFC a été brutalement propulsée sur le devant de la scène par la pandémie de COVID-19. L'émergence de vagues de "COVID long" a créé une cohorte tragique de patients présentant des symptômes post-infectieux qui non seulement ressemblent à l'EM/SFC, mais qui, pour beaucoup, sont l'EM/SFC.
Je vous propose dans cet article de plonger au cœur de la biologie de l'EM/SFC. Nous allons déconstruire les mythes, analyser les mécanismes physiopathologiques qui expliquent les symptômes, et examiner les nouveaux paradigmes de traitement qui remplacent enfin les approches obsolètes et nuisibles.

Le symptôme qui change tout : le malaise post-effort (PEM)
Le premier et le plus important obstacle à la compréhension de l'EM/SFC est sémantique. Le terme "syndrome de fatigue chronique" est peut-être l'un des termes les moins appropriés de l'histoire médicale moderne. Il met l'accent sur la "fatigue", un symptôme commun à d'innombrables pathologies, de l'anémie à la dépression.
Cependant, le symptôme cardinal et non négociable de l'EM/SFC n'est pas la fatigue. C'est le malaise post-effort (PEM).
Le PEM est une exacerbation disproportionnée et souvent retardée (de 24 à 72 heures) de l'ensemble des symptômes de la maladie (cognitifs, douloureux, grippaux) après un effort physique, cognitif ou émotionnel minime. Un patient peut se sentir relativement bien, faire une courte promenade ou une réunion de travail intense, et se retrouver cloué au lit pendant les trois jours suivants.
Cette distinction est cruciale. Pendant des décennies, les critères diagnostiques les plus utilisés (comme les critères de Fukuda de 1994) rendaient le PEM facultatif. Cela a permis d'inclure dans les études de recherche des personnes souffrant de fatigue chronique d'origine diverse, et a ouvert la voie à des modèles qui postulaient que la maladie était un simple déconditionnement.
Aujourd'hui, les critères de consensus modernes (comme les Critères Canadiens ou les critères de l'IOM/SEID) exigent la présence obligatoire du PEM. Ce symptôme unique est la clé qui permet de déverrouiller la biologie sous-jacente de la maladie.
La mécanique de l'effondrement : les 5 axes physiopathologiques de l'EM/SFC
L'EM/SFC n'est pas une maladie d'un seul organe. C'est une défaillance de réseau systémique. La recherche moderne identifie cinq axes interconnectés qui s'entretiennent mutuellement.
Axe 1 : la neuroinflammation (le "brouillard cérébral" validé)
Le "brouillard cérébral" (dysfonction cognitive, perte de mémoire, difficulté à trouver ses mots) est l'un des symptômes les plus invalidants. Loin d'être subjectif, il est désormais visible sur l'imagerie cérébrale.
Des études de tomographie par émission de positrons (TEP) ont confirmé une activation microgliale généralisée dans le cerveau des patients. Les microglies sont les cellules immunitaires résidentes du cerveau ; leur activation est une preuve directe de neuroinflammation.
Parallèlement, la spectroscopie par résonance magnétique (SRM), qui analyse la biochimie cérébrale, a identifié un marqueur de stress oxydatif : une réduction significative du glutathion (GSH), le principal antioxydant du cerveau. L'inflammation et le stress oxydatif perturbent le métabolisme énergétique neuronal, provoquant les symptômes cognitifs sévères.
Axe 2 : la crise énergétique (la panne mitochondriale)
Le PEM suggère une défaillance fondamentale de la production d'énergie. La recherche a localisé ce problème au cœur de nos usines énergétiques : les mitochondries.
Plus précisément, des études récentes ont identifié des dommages mitochondriaux directs et des altérations morphologiques dans les biopsies de muscle squelettique des patients EM/SFC.
Le mécanisme du PEM commence à être compris :
Hypoperfusion à l'effort : L'effort chez un patient EM/SFC provoque une mauvaise irrigation sanguine (hypoperfusion) du muscle.
Surcharge ionique : Cette hypoperfusion entraîne une dysrégulation des pompes ioniques, menant à une surcharge de calcium dans la cellule.
Dommages mitochondriaux : L'excès de calcium est hautement toxique pour les mitochondries et provoque des dommages structurels directs.
L'"effondrement" retardé (le PEM) est la manifestation clinique de cette lésion tissulaire aiguë et de la réponse inflammatoire qui s'ensuit.
Axe 3 : la dysrégulation immunitaire (une tempête post-infectieuse)
La majorité des cas d'EM/SFC commencent après une infection (historiquement l'EBV, aujourd'hui le SARS-CoV-2). Cela implique une dysrégulation immunitaire persistante.
Des études récentes utilisant la randomisation mendélienne (une méthode statistique pour évaluer la causalité) ont confirmé que le système immunitaire n'est pas seulement corrélé, il est causal. Des niveaux génétiquement plus élevés de certaines chimiokines pro-inflammatoires, notamment CXCL5 et CCL20, augmentent significativement le risque de développer l'EM/SFC. Cela suggère un état d'hyper-réactivité immunitaire qui ne s'éteint jamais après l'infection initiale.
Axe 4 : l'axe intestin-cerveau (un moteur inflammatoire)
Une écrasante majorité de patients EM/SFC souffre de troubles gastro-intestinaux de type syndrome du côlon irritable (SCI). Ce n'est pas une coïncidence.
Des études multi-omiques ont identifié une dysbiose marquée (un déséquilibre du microbiome intestinal), caractérisée notamment par une réduction des bactéries productrices de butyrate. Le butyrate est un acide gras essentiel pour maintenir l'intégrité de la barrière intestinale.
Son absence conduit à une perméabilité intestinale ("leaky gut"), permettant aux composants bactériens (comme le LPS) de "fuir" de l'intestin vers la circulation sanguine. Cela déclenche une inflammation systémique de bas grade qui, à son tour, alimente la neuroinflammation (Axe 1), créant un cercle vicieux entre l'intestin et le cerveau.
Axe 5 : la dysautonomie (l'intolérance à la verticale)
Les symptômes de dysfonctionnement du système nerveux autonome (SNA), ou dysautonomie, sont omniprésents. L'intolérance orthostatique (IO) — l'incapacité à tolérer la position debout, provoquant des étourdissements, une vision trouble et une aggravation des symptômes — est un critère diagnostique central.
Cela se manifeste souvent par un syndrome de tachycardie orthostatique posturale (POTS), une augmentation anormale de la fréquence cardiaque en position debout. Cette dysautonomie n'est pas un simple symptôme ; elle aggrave la crise énergétique. Un SNA défaillant entraîne une mauvaise perfusion sanguine systémique, ce qui exacerbe l'hypoperfusion musculaire à l'effort (Axe 2) et abaisse le seuil de déclenchement du PEM.
Le tournant : comment le COVID long et les directives NICE ont tout changé
Pendant des décennies, la recherche biomédicale a été entravée par une controverse toxique.
L'effondrement de l'ancien modèle : l'échec de la GET et de la TCC
Le modèle biopsychosocial, qui postulait que l'EM/SFC était entretenue par des "croyances dysfonctionnelles" et le déconditionnement, a dominé la recherche pendant 20 ans. Son apogée fut l'essai PACE (2011), qui concluait que la Thérapie par Exercices Gradués (GET) et la Thérapie Cognitivo-Comportementale (TCC) étaient des traitements efficaces.
Cependant, cet essai a été massivement discrédité pour ses failles méthodologiques :
Il utilisait des critères diagnostiques larges qui n'exigeaient pas le PEM.
Il reposait sur des résultats subjectifs (auto-questionnaires) dans un essai non masqué.
Les données objectives (actimétrie, test de marche) n'ont montré aucune amélioration significative, un fait non rapporté dans les conclusions principales.
Pire encore, des milliers de patients ont rapporté que la GET était activement nuisible, provoquant des rechutes sévères. Nous comprenons maintenant pourquoi : en forçant l'exercice, la GET pousse le patient à dépasser son seuil anaérobie et à s'infliger des dommages mitochondriaux répétés (Axe 2).
Le COVID long : la validation tragique du modèle post-viral
L'arrivée du COVID long a fourni la preuve que le modèle post-infectieux était le bon. Le chevauchement symptomatique est quasi total : PEM, brouillard cérébral, dysautonomie.
Plus important encore, le chevauchement physiopathologique est démontré. Une revue systématique de 2025 comparant les tests d'effort (CPET) chez les patients COVID long et EM/SFC a identifié un mécanisme partagé dominant : une altération de la diffusion de l'oxygène dans le muscle squelettique. L'imagerie métabolique cérébrale montre également des signatures similaires de neuroinflammation et de stress oxydatif.
La révolution des directives NICE 2021
En octobre 2021, le National Institute for Health and Care Excellence (NICE) du Royaume-Uni a publié ses nouvelles directives, marquant un tournant sismique.
Basées sur un examen rigoureux des preuves et incluant les témoignages de patients, ces directives ont complètement renversé l'ancien modèle :
Reconnaissance : L'EM/SFC est une maladie médicale complexe, chronique et multisystémique.
Diagnostic : Le PEM est un symptôme central requis pour le diagnostic.
Rejet de la GET : "Ne pas offrir la thérapie par exercices gradués (GET)" car elle est basée sur des preuves de faible qualité et est potentiellement nuisible.
Recadrage de la TCC : La TCC ne doit pas être proposée comme un traitement curatif. Elle ne doit être offerte que comme un soutien psychologique pour aider à gérer l'impact d'une maladie chronique grave.
Ces directives ont validé ce que les patients disaient depuis des décennies : la maladie est biologique, et l'exercice forcé est dangereux.
Gérer l'EM/SFC : une approche intégrative et fondée sur les preuves
En l'absence de traitement curatif approuvé, la gestion se concentre sur la prévention de l'aggravation (le PEM) et le soutien des systèmes physiologiques défaillants.
Le pilier n°1 : le 'pacing' (gestion de l'énergie)
Le 'Pacing' est la principale stratégie de gestion recommandée par le NICE. Il s'agit d'une stratégie d'autogestion qui consiste à équilibrer soigneusement l'activité et le repos pour rester à l'intérieur de son "enveloppe énergétique" individuelle.
L'objectif principal est d'éviter de déclencher le PEM. Une méta-analyse systématique de 2024 a confirmé l'efficacité du Pacing, montrant un effet bénéfique "large" (SMD = -1.09) sur la fatigue. Le Pacing n'est pas une cure, mais une stratégie essentielle de réduction des risques : en évitant les "crashs", le patient cesse de s'infliger des lésions mitochondriales (Axe 2), ce qui permet de stabiliser son état de base.
Une approche fonctionnelle : soutenir les axes défaillants
Une approche de médecine fonctionnelle vise à soutenir directement la biologie sous-jacente.
Soutenir l'Axe 2 (Mitochondries) : La recherche sur les compléments alimentaires, bien qu'encore émergente, montre un potentiel pour des cofacteurs mitochondriaux. Une revue systématique de 2025 a identifié que la L-carnitine et la Coenzyme Q10 (souvent avec du sélénium) ont montré des réductions de la fatigue dans certaines études. Une étude de cas post-COVID a d'ailleurs identifié un taux effondré d'acylcarnitine, renforçant la logique d'une supplémentation ciblée en L-carnitine.
Soutenir l'Axe 4 (Intestin) : Puisque la dysbiose et la perméabilité intestinale alimentent l'inflammation, les interventions diététiques sont primordiales. Des revues récentes (2025) suggèrent que le régime méditerranéen et le régime pauvre en FODMAP sont des modèles prometteurs pour améliorer la richesse du microbiote et réduire l'inflammation systémique et la fatigue. Le régime low FODMAP est particulièrement pertinent pour gérer le SCI, une comorbidité quasi universelle.
Gérer l'Axe 5 (Comorbidités) : Il est crucial d'identifier le "cluster" de comorbidités fréquemment associé à l'EM/SFC : le POTS (dysautonomie), le Syndrome d'Activation Mastocytaire (MCAS) et les Syndromes d'Ehlers-Danlos (SED) (hypermobilité). Ces conditions s'auto-entretiennent et nécessitent une prise en charge spécifique.
Le futur : vers une médecine de précision pour l'EM/SFC
L'EM/SFC est une maladie hétérogène. L'avenir réside dans la médecine de précision pour stratifier les patients. Des études de pointe utilisent désormais l'intelligence artificielle (IA) pour analyser des ensembles de données multi-omiques (microbiome, métabolome, immunologie).
Une étude de 2024 (BioMapAI) a utilisé l'IA pour identifier des "bio-sous-types" distincts, en reliant des signatures biologiques (comme un faible taux de butyrate dans l'intestin) à une activation immunitaire spécifique et à des symptômes cliniques précis. Bientôt, nous ne traiterons plus "l'EM/SFC", mais un "sous-type A (dominant dysbiotique)" ou un "sous-type B (dominant mitochondrial)".
Conclusion : un changement de paradigme est en marche
L'encéphalomyélite myalgique est sortie de l'ombre de la psychologie pour entrer dans le champ de la biologie moléculaire. Nous sommes passés d'un modèle réducteur de "fatigue" à la compréhension d'une maladie post-infectieuse, neuro-immunitaire-métabolique-autonomique complexe.
La reconnaissance du PEM comme une lésion mitochondriale, le rejet de la GET par des organismes comme le NICE, et la validation apportée par le COVID long ont changé les règles du jeu. Pour les cliniciens et les thérapeutes, cela exige une nouvelle approche : une approche qui écoute le patient, respecte ses limites énergétiques (Pacing), et investigue les mécanismes biologiques sous-jacents (intestin, mitochondries, inflammation) pour offrir enfin un soutien rationnel, validant et sécuritaire.
Sources et lectures complémentaires
Voici une sélection d'études et de directives clés pour approfondir le sujet :
Directives du NICE (2021) : La directive de référence qui a redéfini la prise en charge de l'EM/SFC, en rejetant la GET et en validant le PEM comme symptôme central. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/36553962/
Analyse des failles de l'essai PACE : Une revue (2022) détaillant comment les directives du NICE ont exposé les failles méthodologiques des essais sur la GET et la TCC. https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC9141828/
La controverse Cochrane (2025) : Article du BMJ rapportant la décision de Cochrane d'annuler la mise à jour de sa revue sur la thérapie par l'exercice, laissant en place des recommandations obsolètes. https://www.bmj.com/content/388/bmj.r169.full.pdf
Neuroinflammation (Neuroimagerie) : Une revue (2025) sur la neuroimagerie métabolique (TEP et SRM) montrant des preuves de neuroinflammation et de stress oxydatif (faible glutathion) dans l'EM/SFC et le Long-COVID. https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC12435251/
Dysfonction mitochondriale musculaire : Une revue (2025) se concentrant sur les preuves de dommages mitochondriaux directs dans le muscle squelettique des patients, expliquant le mécanisme du PEM. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/39727052/
Axe Intestin-Cerveau : Revue (2025) sur les approches ciblant la santé intestinale, y compris les régimes (Low FODMAP, Méditerranéen) pour améliorer le microbiote et réduire l'inflammation. https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC12066075/
Dysautonomie (POTS/IO) : Étude MCAM (2025) sur la prévalence élevée et l'impact de la dysfonction autonome (vertiges, intolérance orthostatique) chez les patients EM/SFC. https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC12428951/
Chevauchement avec le Long-COVID : Revue (2025) identifiant les mécanismes pathophysiologiques partagés, notamment une altération de la diffusion de l'oxygène dans le muscle squelettique. https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC12404247/
Approches nutritionnelles : Revue systématique (2025) sur l'efficacité des compléments alimentaires (CoQ10, L-Carnitine) pour la fatigue. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/39940333/
Comparaison des critères diagnostiques : Évaluation empirique (2022) comparant les différents critères (Fukuda, CCC, IOM) et concluant que les Critères Canadiens (CCC) sont les mieux soutenus par les données. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/35236205/
Avenir (IA et Multi-omique) : Étude BioMapAI (2024) utilisant l'IA pour analyser des données multi-omiques (microbiome, immunité, métabolome) afin d'identifier des sous-types de maladie. https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC12416096/



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