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Théorie du triage : quand le corps sacrifie sa longévité pour survivre aujourd'hui

  • Photo du rédacteur: Dr Nicolas Dedieu
    Dr Nicolas Dedieu
  • il y a 11 heures
  • 4 min de lecture


Et si votre organisme, face à une carence subtile en nutriments, prenait des décisions stratégiques à votre insu ? S'il choisissait délibérément de sacrifier votre santé future pour assurer votre survie immédiate ?

C’est l’hypothèse centrale, à la fois simple et vertigineuse, de la théorie du triage, formulée par le célèbre biochimiste Bruce Ames. Loin d’être une simple vue de l’esprit, cette théorie offre une grille de lecture puissante pour comprendre l'origine silencieuse des maladies chroniques modernes.


Théorie du triage

La théorie du triage : une priorisation métabolique impitoyable


Selon cette théorie, notre corps a évolué pour gérer la pénurie. En cas de déficit, même modéré, en micronutriments (vitamines, minéraux, oligo-éléments), il n'essaie pas de "faire un peu de tout" médiocrement. Il établit un plan d’urgence drastique.

Il alloue les ressources restantes exclusivement aux fonctions dont dépend la survie à court terme : la production d’ATP (énergie immédiate), la coagulation sanguine pour éviter l'hémorragie, ou encore les fonctions de reproduction de base.

Le prix à payer ? La mise en veille des "projets à long terme" de l'organisme. Les mécanismes sophistiqués de réparation de l’ADN, la maintenance de la densité osseuse, la détoxification fine hépatique ou la régulation fine de l'inflammation sont considérés comme "non essentiels" dans l'immédiat. Ils sont sacrifiés.


L'exemple clé de la Vitamine K : Bruce Ames illustre souvent sa théorie avec la vitamine K. Face à une pénurie, le corps l'utilise en priorité pour les facteurs de coagulation (une coupure peut tuer en quelques minutes). En revanche, il cesse de fournir de la vitamine K à l'ostéocalcine, une protéine cruciale pour la solidité des os mais inutile pour survivre à la journée. Résultat : vous ne saignez pas aujourd'hui, mais vous développez de l'ostéoporose dans 20 ans.

Ces déficiences subcliniques ne vous tuent pas tout de suite, mais elles accélèrent votre vieillissement. C'est une usure insidieuse, une "rouille" biologique qui s'installe.


Quand le triage devient neurovégétatif : la double peine


Ce principe de rationnement ne se limite pas à la biochimie. Les avancées récentes en neurosciences montrent une convergence fascinante : notre système nerveux autonome opère exactement le même calcul face au stress.

Selon la théorie polyvagale du Dr Stephen Porges, notre système nerveux scanne en permanence notre environnement (interne et externe) pour évaluer le danger. C'est la neuroception.

Lorsque nous sommes en sécurité, le système vagal ventral est actif : il autorise la régénération, la digestion complète, le repos profond et l'engagement social. C'est le mode "maintenance et longévité".

Mais sous l’effet d’un stress chronique — qu'il soit psychologique, inflammatoire ou lié à un déficit nutritionnel —, le corps bascule en mode survie (sympathique ou vagal dorsal). Le message est clair : "Il y a un danger immédiat, ce n'est pas le moment de réparer les tissus".

Le drame moderne est que ces deux systèmes de triage s'auto-entretiennent. Une carence en magnésium (triage biochimique) augmente la sensibilité au stress, qui active le mode survie neurovégétatif, qui lui-même surconsomme le peu de magnésium restant. C'est un cercle vicieux qui épuise les réserves profondes de l'organisme.


La réalité clinique : les états intermédiaires de santé


En consultation de médecine fonctionnelle, ce phénomène est omniprésent. Je rencontre quotidiennement des patients qui naviguent dans le brouillard d'une santé sub-optimale.


Ils ne sont pas "malades" au sens médical classique : leurs bilans sanguins standards sont dans les normes. Pourtant, ils ne vont pas bien. Ils ressentent ces signaux faibles que la médecine conventionnelle peine à interpréter : fatigue qui ne cède pas au repos, brouillard mental, douleurs erratiques, susceptibilité aux infections, troubles digestifs fonctionnels.


C’est le terrain du « presque » : presque en forme, presque capable de récupérer. Ces états intermédiaires sont en réalité des phases de triage actif. Leurs analyses sont "normales" car le corps maintient l'homéostasie sanguine à tout prix, souvent en pillant les réserves tissulaires. Un taux de calcium sanguin normal peut cacher une déminéralisation osseuse active ; un magnésium sérique correct ne dit rien du déficit intracellulaire sévère qui paralyse leurs enzymes de réparation.

C'est dans cette zone grise que se prépare la chronicité : le stress oxydatif s'accumule silencieusement, l'inflammation de bas grade s'installe comme bruit de fond permanent.


Agir : changer de paradigme pour restaurer la longévité


Comprendre la théorie du triage, c'est comprendre que la prévention commence bien avant les symptômes. Attendre la maladie pour agir, c'est avoir laissé le triage fonctionner trop longtemps.

L'objectif thérapeutique est de saturer les besoins du corps pour qu'il se sente suffisamment "en sécurité" pour réactiver ses programmes de maintenance à long terme.


Cela demande une stratégie précise :


  • L'abondance micronutritionnelle : Il ne s'agit pas juste de "manger équilibré", mais d'apporter une densité nutritionnelle élevée. Privilégier les aliments bruts, les cuissons douces, et une diversité végétale massive pour apporter les cofacteurs que nous ne savons pas encore doser.

  • La correction ciblée des déficits communs : Le magnésium, le zinc, les vitamines D3 et K2, les vitamines B méthylées et les oméga-3 sont les victimes les plus fréquentes du triage moderne. Leur correction doit souvent passer par une supplémentation individualisée, car l'alimentation moderne peine à couvrir les besoins accrus par le stress.

  • Le signal de sécurité neurovégétatif : Pour stopper le triage, il faut convaincre le cerveau ancien que le danger est passé. C'est le rôle indispensable des techniques psychocorporelles (cohérence cardiaque, stimulation vagale, respiration profonde) qui envoient un signal physiologique de sécurité.


Conclusion


La santé véritable n'est pas l'absence de symptômes, c'est un état d'abondance énergétique où le corps peut se permettre d'investir dans son futur.

Notre rôle est d'accompagner cette sagesse adaptative : ne plus forcer l'organisme à choisir entre survivre aujourd'hui et bien vivre demain.



Références clés :


  • Ames B.N. Low micronutrient intake may accelerate the degenerative diseases of aging through allocation of scarce micronutrients by triage. PNAS, 2006.

  • Ames B.N. DNA damage from micronutrient deficiencies is likely to be a major cause of cancer. Mutation Research, 2001.

  • Porges S. The Polyvagal Theory: Neurophysiological Foundations of Emotions, Attachment, Communication, and Self-Regulation. Norton, 2011.

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