Ghee : un allié réel en nutrition fonctionnelle ou simple effet de mode ?
- Dr Nicolas Dedieu

- il y a 6 jours
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Le ghee – beurre clarifié traditionnel de l’Inde – s’est imposé ces dernières années dans les pratiques nutritionnelles modernes, notamment en médecine fonctionnelle. Souvent présenté comme une alternative « plus saine » au beurre, riche en butyrate et stable à la cuisson, il bénéficie d’une aura quasi thérapeutique dans certains discours.
Mais que disent réellement les études récentes ? Le ghee a-t-il une valeur ajoutée spécifique dans une approche nutritionnelle systémique ?
Ou s’agit-il d’un aliment intéressant… mais à replacer dans son contexte physiologique ?

Qu’est-ce que le ghee ? Composition et spécificités biochimiques
Le ghee est un beurre clarifié : on chauffe le beurre à faible intensité, on en élimine l’eau, le lactose et les protéines laitières (caséines, lactosérum). Il reste alors une matière grasse à 99 %, uniquement composée de lipides.
Ses caractéristiques nutritionnelles :
65–70 % d’acides gras saturés (AGS) : palmitique, myristique, stéarique.
25–30 % d’acides gras mono-insaturés (AGMI), principalement oléique.
Une petite fraction d’AGPI.
Une proportion notable d’acides gras à chaîne courte (AGCC), notamment butyrate.
Des vitamines liposolubles (A, E, K) et parfois D, surtout lorsque issu de vaches nourries à l’herbe.
Cette présence naturelle de butyrate explique l’intérêt du ghee dans une perspective microbiote et barrière intestinale.
Ghee et santé cardio-métabolique : un bilan plus nuancé qu’annoncé
1. Le ghee n’est pas neutre face aux huiles riches en AGMI
Plusieurs essais cliniques récents ont comparé le ghee à des huiles reconnues pour leur bénéfice cardiovasculaire, comme l’huile d’olive.
Résultat :
le ghee augmente l’apoB et le cholestérol non-HDL,
alors que les huiles riches en AGMI améliorent ces marqueurs.
Remplacer l’huile d’olive par du ghee n’est pas pertinent en prévention cardiovasculaire.
2. Effet global modéré en population générale
À faibles doses (≈10–15 g/j), chez des adultes en bonne santé :
les effets sur les lipides sanguins sont neutres,
aucune détérioration majeure n’est observée.
Les méta-analyses récentes (2024–2025) concluent que :
la consommation de ghee n’a pas d’impact significatif sur LDL, HDL, TG,
mais un léger sur-risque coronarien apparaît dans les consommations élevées de graisses saturées, dont le ghee fait partie.
3. Cas particulier : stéatose hépatique (NAFLD)
Un essai randomisé de 2024 comparant ghee vs huile de colza chez des patients atteints de NAFLD montre :
amélioration du foie gras uniquement dans le groupe huile de colza,
diminution des transaminases et de la stéatose avec remplacement du ghee.
Chez les profils métaboliquement fragiles (NAFLD, syndrome métabolique), privilégier les AGMI/AGPI.
Le ghee comme « aliment du microbiote » : que vaut vraiment l’argument du butyrate ?
Le ghee contient du butyrate, acide gras à chaîne courte essentiel pour :
l’énergie des colonocytes,
la régulation des gènes (HDAC),
l’intégrité des jonctions serrées,
la modulation inflammatoire.
Mais attention à deux réalités physiologiques majeures :
1. Le butyrate alimentaire ≠ butyrate colique fermentaire
Le butyrate contenu dans les lipides :
est majoritairement absorbé dans l’intestin grêle,
n’arrive pas en quantité significative dans le côlon,
n’a pas l’effet volumétrique des SCFA issus de la fermentation des fibres.
Les véritables stimulateurs du butyrate colique sont :fibres solubles, amidon résistant, polyphénols fermentescibles.
2. Les preuves directes manquent encore
Les études cliniques évaluant l’effet du ghee sur :
le microbiote,
la perméabilité intestinale,
les marqueurs inflammatoires du côlon
sont limitées ou en cours de publication.
Conclusion : Le ghee peut être un cofacteur intéressant, mais pas un levier principal dans une stratégie intestinale.
Les piliers restent fibres, diversité végétale, polyphénols, oméga-3 et hygiène de vie.
Stabilité à la cuisson : un avantage important
Le ghee possède un point de fumée élevé (~250 °C), supérieur à celui du beurre (≈177 °C).
Pourquoi ?
Absence d’eau et de protéines (lactose, caséines).
Forte proportion d’acides gras saturés, naturellement stables à la chaleur.
1. À quoi cela sert en pratique ?
Le ghee présente une bonne stabilité oxydative pour :
poêlées rapides,
sautés de légumes,
cuisson douce à moyenne durée.
Il peut se révéler plus stable que les huiles riches en AGPI (tournesol, maïs, soja), connues pour former facilement des aldéhydes oxydés toxiques lorsqu’elles sont chauffées.
2. Mais attention aux dérives
Un ghee industriel très chauffé peut contenir des oxystérols.
Les refritures répétées génèrent des acides gras trans.
Le point de fumée n’indique pas la qualité globale : seul compte la stabilité oxydative.
Pour les cuissons réellement hautes températures : huile d’olive vierge extra ou ghee passent mieux que la plupart des huiles riches en AGPI.
Dans quels profils le ghee peut-il être réellement utile ?
1. Hypersensibilité au lactose ou aux protéines laitières
Le ghee contient :
quasi 0 g de lactose,
très peu de protéines laitières.
Il peut donc être bien toléré par les personnes :
intolérantes au lactose,
sensibles à la caséine,
gênées par les produits laitiers mais sans allergie sévère.
2. Besoin de densité calorique ou de facilitateur d’absorption
Le ghee est utile dans certains contextes cliniques :
fatigue chronique avec anorexie,
réalimentation progressive,
sarcopénie,
colites où l’on cherche des lipides très digestibles.
Il augmente la densité énergétique sans surcharger le système digestif.
3. Support d’absorption pour les épices
En Ayurveda, le ghee est utilisé comme anupana, véhicule pour les plantes. Il augmente la solubilité et parfois la biodisponibilité des composés liposolubles :
curcuminoïdes,
gingérols,
terpénoïdes,
certaines saponines.
C’est cohérent avec les mécanismes pharmacocinétiques connus.
Situations où le ghee doit rester limité
L’analyse systémique impose de rappeler que le ghee est une graisse saturée.Certaines situations exigent donc un usage prudent :
LDL-C ou apoB élevés,
antécédents cardiovasculaires,
NAFLD / NASH,
syndrome métabolique avéré,
régime déjà riche en graisses saturées (fromages, viandes grasses, noix de coco).
➡️ Dans ces contextes, le ghee doit être secondaire, voire symbolique, et jamais consommé à haute dose.
Comment utiliser le ghee intelligemment dans son alimentation ?
1. Qualité du ghee
Privilégiez :
ghee bio,
issu de vaches nourries à l’herbe,
non surchauffé,
texture jaune pâle et parfum noisette subtil.
Évitez :
produits brun foncé,
odeurs rances,
ghee industriels très chauffés.
2. Quantités réalistes et compatibles avec la santé métabolique
Pour un adulte métaboliquement sain :
1 à 2 c. café/jour (5–10 g) est un repère raisonnable.
Au-delà de 15 g/j, l’effet cardiovasculaire devient discutable.
3. Bon usage en cuisine
Recommandé pour :
cuire des œufs,
saisir légèrement des légumes,
faire revenir des épices,
parfumer un plat en fin de cuisson.
À éviter :
fritures longues,
réutilisations répétées de la même matière grasse.
Conclusion : quelle place donner au ghee dans une nutrition fonctionnelle moderne ?
Le ghee est un aliment traditionnel intéressant, mais son rôle doit être évalué avec rigueur.
→ Ce que le ghee peut apporter
Bonne stabilité à la cuisson.
Teneur en butyrate (utilité partielle).
Bonne tolérance pour ceux qui évitent le lactose.
Support pour la biodisponibilité des épices.
Source d’énergie facilement métabolisable.
→ Ce que le ghee n’est pas
Un protecteur cardiovasculaire (il ne remplace pas l’huile d'olive).
Un « superaliment » restaurateur du microbiote.
Une source de butyrate colique significative.
Une alternative universelle aux lipides mono- ou poly-insaturés.
→ En nutrition fonctionnelle systémique
Le ghee trouve sa place, mais :
en petites quantités,
dans un contexte alimentaire globalement équilibré,
et jamais comme pivot lipidique.
Il peut enrichir un régime de qualité, mais la base de la santé métabolique reste la diversité végétale, l’apport suffisant en fibres, en oméga-3, et la maîtrise de la charge calorique.
En bref : Le ghee est un outil culinaire intelligent… lorsqu’il est utilisé avec discernement clinique et physiologique.

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